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Les séismes du 6 février 2023 en Turquie et Syrie : une immense catastrophe

En quelques points

Date

11 février 2023

Theme

Moyen-Orient

Selcan Karabektaş, doctorante à l’Université Grenoble Alpes et chercheure au CERDAP2

Le lundi 6 février 2023, deux tremblements de terre d’une magnitude de 7,7 sur l’échelle de Richter se sont produits dans la province de Kahramanmaraş : le premier à 4h17, à Pazarcık, le second, à 13h24, à Elbistan. Ces séismes, vécus comme une véritable apocalypse par les populations concernées, sont les plus puissants à avoir frappé la Turquie depuis le 19e siècle. D’une force équivalente à celle de 130 bombes atomiques, il a même été ressenti au Groenland et au Japon !

Une force et une amplitude géographique inégalées

Le séisme initial et ses 145 répliques ont en effet semé la terreur dans le sud-est de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie, faisant au moins 20 000 morts et des dizaines de milliers de blessés (selon les chiffres connus, au soir du 9 février 2023). L’Organisation mondiale de la santé, qui a mobilisé toutes ses ressources, estime que, de nombreuses personnes étant restées prisonnières des décombres, le nombre de victimes sera certainement beaucoup plus important. Eu égard à cette situation dramatique, Ankara et Damas ont fait appel à l’aide internationale. Au moins 65 États du monde entier, ont envoyé des équipes de secours d’urgence pour aider les deux pays. La Syrie se trouve dans une situation qui est de surcroît aggravée par le fait qu’elle est toujours en situation de guerre civile, notamment dans le nord de son territoire, et qu’en outre, depuis 2011, le gouvernement de Bachar al-Assad est frappé par un régime de sanctions internationales.

Les réseaux sociaux ont rapidement rendu compte des dégâts. Ils ont notamment répercuté des photos ou des vidéos saisissantes où l’on voit des personnes fuyant leurs immeubles, alors que ceux-ci s’effondrent comme des châteaux de cartes. La particulière gravité de ce séisme tient à son amplitude géographique, car la plus grande partie du sud-est de la Turquie est affectée ; dix provinces au total, comprenant des zones rurales difficiles d’accès, mais aussi et surtout beaucoup de grandes villes comme Adana, Dıyarbakır, Malatya, Adıyaman, Gaziantep, Antakya, Iskenderun, Şanlıurfa ou Kahramanmaraş. Des centaines de milliers de personnes se sont ainsi soudainement retrouvées sans abri, essayant de retrouver leurs proches dans les restes effondrés de leurs domiciles, alors même qu’un hiver particulièrement rude sévit cette année dans la région.

Plusieurs sites historiques ont également été endommagés ou détruits, en particulier le château historique de Gaziantep, de beaux monuments à Antakya (l’ancienne Antioche, l’un des berceaux du christianisme) ou le site antique de Palmyre en Syrie (déjà endommagé par Daech, il y a quelques années). Le président Erdoğan a décrété mardi l’état d’urgence pour trois mois dans les provinces concernées. Il a également déclaré dans une allocution télévisée que l’OTAN, l’Union européenne et des dizaines pays avaient proposé leur aide. Car, en Turquie, de nombreuses institutions publiques, notamment des hôpitaux, des cliniques, ont été endommagées et certaines complètement détruites. Les écoles seront d’ailleurs fermées pendant au moins une semaine.

Une catastrophe naturelle mais dont la prévention était possible

Selon le géologue turc Naci Görür, ce tremblement de terre était attendu. « Tous les scientifiques dans le monde, y compris moi, ont dit que ce tremblement de terre était à notre porte et sonnait le glas depuis des années », a déclaré Görür, avant de conclure : « … personne ne s’est soucié d’écouter ce que nous avions à dire ». La Turquie se trouve entre les failles Nord et Est de de la péninsule anatolienne. Elle est donc très exposée à l’activité sismique. Le pays a été régulièrement frappé par des tremblements de terre dévastateurs, dont un mémorable, en 1999, dont l’épicentre était situé près d’Izmit (à l’est d’Istanbul, dans la province de Kocaeli). Il avait causé la mort d’environ 18 000 personnes. Le séisme du 6 février va finalement se solder par un nombre encore supérieur de victimes…

La dernière secousse de magnitude 7,8 dans le pays remonte à 1939, année où 33 000 personnes ont péri dans la province d’Erzincan, au nord-est du pays. Même si la cause de ces catastrophes est d’origine naturelle, le nombre de morts est lié aux activités humaines et à la capacité des autorités publiques à éviter que le bilan final ne soit aggravé. Au lendemain de ce dernier séisme, le gouvernement qui collecte depuis quelques années une taxe sismique pour préparer les villes à ce genre de catastrophe, est accusé de ne pas avoir pris les précautions nécessaires.

Photo de Shefali Lincoln sur Unsplash

De plus, de nombreux habitants dans les zones les plus touchées ont pointé du doigt l’arrivée tardive des secours, dépêchés par l’AFAD (Afet ve Acil Durum Yönetimi Başkanlığı/ l’Autorité turque de gestion des catastrophes et des urgences). Cette dernière a annoncé avoir mobilisé 60.217 employés sur le terrain, mais les forces armées turques (TSKTürk Silhalı Kuvvetleri), qui généralement interviennent activement dans la gestion de ce genre de crises en Turquie, ne sont arrivées sur le terrain que deux jours après le drame. Beaucoup estiment que ces retards pourraient avoir entraîné une perturbation dans les opérations de recherche. Lors du tremblement de terre de 1999, les forces armées turques avaient mobilisé toutes leurs ressources et installations, et 24 000 soldats étaient intervenus dans la zone du séisme.

Quels effets politiques, économiques et électoraux ?

Kemal Kılıcdaroğlu, le leader du CHP, le parti d’opposition le plus important, s’est rendu sur les lieux, au second jour de la catastrophe, accompagné des maires d’Istanbul et Ankara, Ekrem Imamoğlu et Mansur Yavaş, qui appartiennent à la même formation que lui. Il n’a pas hésité à déclarer : « S’il y a une personne responsable de tout cela, c’est bien Erdoğan ». Il a également ajouté que, bien qu’il ait été au pouvoir depuis vingt ans, le gouvernement d’Erdoğan n’a pas su préparer un plan véritablement efficace pour faire face à de tels tremblements de terre. Certains observateurs ont même affirmé qu’à la veille des élections présidentielles et législatives, le gouvernement d’AKP semble être « plus concerné par son image que par l’idée de sauver des gens »

Par ailleurs, cette tragédie a remis à l’ordre du jour la question des pratiques frauduleuses répandues des entreprises de construction privées qui s’affranchissent des règles de sécurité. Il se trouve que des entrepreneurs proches du gouvernement ont construit des bâtiments de plusieurs étages avec une densité accrue, sans tenir compte de leur résistance aux séismes. Pourtant, la Turquie a introduit de nouvelles normes dans son code de la construction, suite au séisme catastrophique de 1999, exigeant que les constructions soient désormais résistantes aux tremblements de terre les plus forts. Mais vu la rapidité et la facilité avec lesquelles certains bâtiments ses sont effondrés, il est patent que ces derniers ne remplissaient pas les critères exigés pour résister. Ce qui veut donc dire malheureusement que la surveillance que devait exercer l’autorité publique a failli. Là est aussi sans doute hélas l’explication du nombre d’ores et déjà très important de victimes.

Si le premier souci doit être aujourd’hui de leur porter assistance, on ne peut s’empêcher de voir plus loin. L’étendue de la catastrophe n’est pas encore connue, mais ce qui est sûr c’est qu’elle intervient à un très mauvais moment, car la Turquie était déjà aux prises avec une crise économique dévastatrice depuis plusieurs années. Alors que la bourse d’Istanbul vient de suspendre ses activités après trois jours de pertes, il est sûr que l’économie turque (et donc toute la population de ce pays) sera impactée. En outre, alors même que l’état d’urgence, décrété pour trois mois et dans dix provinces, ne prendra fin que quelques jours avant les prochaines élections présidentielles et législatives, l’autre question qui vient à l’esprit est celle de savoir si finalement ce scrutin pourra avoir lieu dans le sillage de cette catastrophe. En attendant, on ne peut que souhaiter qu’un grand nombre de survivants soient encore sortis des décombres, et manifester la plus grande empathie aux familles des victimes.