Aller au contenu principal

De la (non-)appropriation de la norme ISO 26000 par les responsables de RSE en entreprise

En quelques points

Date

18 juillet 2024

Baptiste COIRIER, Étudiant à Sciences Po Grenoble - UGA

Anne BARTEL-RADIC, Professeure à Sciences Po Grenoble - UGA et chercheuse au CERAG, UGA

 

Publiée le 1er novembre 2010 par l’International Standard Organisation (ISO), la norme ISO 26000 est considérée comme l’une des plus complètes en matière de RSE. Pourtant, les expériences des responsables en RSE montrent que, bien que la norme constitue un guide théorique pour nombre d’entre eux, elle est peu, voire non appropriée à l’échelle de leurs stratégies RSE et organisationnelle.

La norme ISO 26000 représente une véritable innovation pour l’ISO en raison du sujet abordé : ISO avait traditionnellement pour habitude d’éviter les sujets sociaux contentieux. La norme fut élaborée au cours d’un processus s’étendant sur plusieurs années, par un comité incluant de multiples organisations intergouvernementales, syndicales et normatives. La norme ISO 26000 s'adresse en théorie à tous les types d'organisations, quelle que soit leur taille, leur pays d’origine ou leur localisation (Découvrir ISO). Elle est supposée s’adresser à la fois aux débutants en tant qu’introduction à la RSE, qu’aux organisations plus expérimentées souhaitant améliorer leurs pratiques (Gond & Igalens, 2014).

La norme ISO 26000 repose sur sept principes généraux de responsabilité sociétale : la Gouvernance ; les Droits de l’Homme ; les Conditions de travail ; l’Environnement ; la Loyauté des pratiques commerciales ; les Questions de consommation ; l’Engagement sociétal (Gond & Igalens, 2014).
Contrairement à d'autres normes, elle n'est pas certifiable et affirme traiter l’ensemble des problématiques de RSE. En tant que norme volontaire structurée par des lignes directrices, la norme s’oppose en tant que soft law à la hard law. Cependant, malgré l’importance accordée à l’inclusivité des parties prenantes dans le processus de normalisation et l’ambition souhaité d’être utile à toutes les organisations et tous les professionnels, la norme ISO 26000 ne fait pas l’unanimité auprès des huit responsables de RSE en entreprise que nous avons interrogés. 

 

Une recherche exploratoire par entretiens avec des responsables RSE

Cette recherche s’appuie sur une méthode qualitative, la plus pertinente pour traiter un tel sujet. Au vu du peu de littérature académique disponible, notre recherche repose sur un design de recherche exploratoire. Les huit personnes interrogées travaillent ou ont travaillé en tant que responsables dans le domaine de la RSE, dans des organisations publiques ou privées. Les entretiens semi-directifs ont duré en moyenne 31 minutes, et ont mobilisé des professionnels aux métiers diversifiés, tel que chef de projet RSE, chargé de mission RSE, directeur d’hôpital ou encore un consultant en RSE.

 

Le constat paradoxal d’une pertinence théorique mais d’une absence d’appropriation de la norme au niveau stratégique

La norme ISO 26000 est considérée comme une norme dense et complexe qui n’est guère mobilisée dans la stratégie et les pratiques de nombreux responsables RSE. Les principales limites à la diffusion et l’appropriation de la norme évoquées par les responsables RSE sont cette complexité notable, la nécessité d’y être initié et un manque de pragmatisme et de pertinence face aux contextes spécifiques des organisations. Le manque de pragmatisme de la norme ISO 26000 explique la non-appropriation de celle-ci car les responsables en RSE sont confrontés à quatre pressions internes et externes : le besoin d’opérationnalisation des parties prenantes ; le besoin de travailler avec les salariés sur des enjeux concrets et liés à l’entreprise ; le manque d’appropriation et de connaissance des parties prenantes de la norme ; la pression des managers sur le besoin d’opérationnalisation de l’entreprise. Au delà de ces concepts, la norme semble inadaptée aux différents secteurs économiques, limitant par conséquent son appropriation et sa mobilisation par les responsables en RSE. La norme ISO 26000 n’est donc pas considérée comme présentant un avantage d’application et d’appropriation par l’ensemble des parties prenantes. 

Le choix de s’approprier ou non la norme ne revient pas uniquement aux responsables en RSE mais dépend de deux variables. D’une part, le choix de la norme sur laquelle la stratégie RSE de l’organisation va se fonder dépend aussi des parties prenantes internes ou externes. D’autre part, certains responsables en RSE dans les entreprises souffrent d’un manque d’autorité partielle sur les différents sujets de RSE, mais aussi d’un manque de transversalité et de communication entre les différents services de l’entreprise. Il peut alors arriver que le service des ressources humaines se charge en exclusivité des aspects sociaux de la RSE, laissant aux responsables RSE l’aspect environnemental. On observe ainsi une répartition des domaines entre les services, ne favorisant pas l’appropriation d’un référentiel commun tel que l’ISO 26000 par l’ensemble des parties prenantes. Paradoxalement, la norme reste néanmoins pour beaucoup un guide théorique, un référentiel parfois utile à mobiliser dans le cadre de leur travail pour s’assurer qu’ils couvrent correctement la RSE au sein de leur organisation.

 

ISO 26000 en concurrence avec des référentiels alternatifs

Face aux défauts intrinsèques à la norme ISO 26000 ainsi qu’à une concurrence normative rude, les responsables RSE et les parties prenantes font le choix d’alternatives à la norme ISO 26000 qui peuvent prendre une forme très différente. L’un des premiers arguments avancés par les responsables RSE sur les choix d’alternatives en matière de référentiels ou de normes est qu’ils sont plus simples d’utilisation. Les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies répondent notamment à ces exigences, étant considérés comme beaucoup plus intuitifs, spontanés et simples que la norme ISO 26000. Les labels également, comme ceux de l’AFNOR, permettent d’aborder la RSE avec davantage de nuances et de simplicité. Les organisations peuvent s’y situer à différents niveaux, contrairement aux audits ou aux lignes directrices de la norme ISO 26000. La CSRD, quant à elle, semble remplir plusieurs rôles : celui de guide théorique, de réglementation contraignante et de prolongement obligatoire de la norme ISO 26000. 

Les choix des responsables RSE ainsi que des parties prenantes en matière de normes s’inscrivent plus largement dans un contexte de concurrence normative internationale, notamment entre les normes anglo-saxonnes et européennes, les normes obligatoires et les labels. Par ailleurs, les résultats concernant la question de la certification révèlent un autre paradoxe. Les responsables en RSE la considèrent comme inenvisageable en raison de la complexité du concept de RSE qu’il s’agirait d’évaluer au sein des organisations et pourtant, l’absence de certification est perçue comme une des principales limites à la diffusion de la norme. De plus, la certification représente une variable importante dans le processus de décision normatif des responsables RSE et des parties prenantes. La norme ISO 26000 gagnerait ainsi tout autant à être certifiable, du fait de la légitimité, l’uniformisation, la diffusion et l’avantage concurrentiel que cela lui apporterait.

La réputation de l’ISO n’a donc pas pour autant favorisé son appropriation. Le caractère complexe du concept de RSE pose de véritables limites à sa diffusion. Il semble par ailleurs que le long processus de normalisation fondé sur le consensus et l’inclusion de nombreuses parties prenantes n’ait pas aidé la norme ISO 26000 à être davantage diffusée et intégrée dans les organisations. Au contraire, elle ne bénéficie d’aucun consensus favorable parmi les personnes interrogées et souffre réellement de son caractère politique. Les « alternatives » à la norme paraissent plus simples, plus attractives et davantage adaptées au contexte de l’entreprise.

 
Références

Gond, J. & Igalens, J. (2014). Les défis contemporains de la RSE. Dans : Jean-Pascal Gond éd., La responsabilité sociale de l’entreprise, 106-114. Paris cedex 14 : Presses Universitaires de France.

ISO. Document en ligne. Découvrir ISO 26000 – Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale. Disponible sur : https://www.iso.org/files/live/sites/isoorg/files/store/fr/PUB100258_fr.pdf (Consulté le 09 juin 2024).