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L’impact du conflit ukrainien au Moyen-Orient : vers une recomposition géopolitique ?

En quelques points

Date

04 avril 2022

Theme

Moyen-Orient

Daniel Meier, enseignant à Sciences Po Grenoble, chercheur associé à l’UMR Pacte

Depuis mi-mars, la crise ukrainienne n’a cessé de révéler des dynamiques de fond qui traversent le Moyen-Orient, à l’instar de la relation entre L’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Le royaume saoudien, en disgrâce depuis la publication autorisée par la Maison Blanche d’un rapport de la CIA faisant de MBS le principal instigateur de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018, pourrait décider à l’instar du Koweit de ne plus arrimer le rial saoudien au seul dollar mais de « panacher » son panier de devises auquel il tiendrait, en y incluant le yuan comme monnaie de paiement de ses exportations pétrolières.

Révélée mardi 15 mars par le Wall Street Journal, cette nouvelle pique dans les relations avec les Etats-Unis promet de faire réfléchir Joe Biden qui fait actuellement face à une inflation de 8% (février 2022) du fait des cours élevés du pétrole (140 US$/baril). D’autant que la Russie a pour sa part demandé le 23 mars dernier que désormais tous les paiements de son gaz soient effectués en roubles et non plus en dollars ou euros. Cette mesure de rétorsion clairement destinée aux Etats européens fait suite à une nouvelle tendance européenne à vouloir se fournir en gaz auprès du Qatar. Elle contribue également à mettre en cause la suprématie du dollar dans ce secteur énergétique.

Pour sa part, le 15 mars, le ministre des Affaires Etrangères des Emirats Arabes Unis était en visite à Moscou pour évoquer une série de dossiers moyen-orientaux ainsi que l’amélioration de la sécurité énergétique globale. Abu Dhabi se déclarait attaché à respecter un accord établi entre les membres de l’OPEP+ stabilisant la production et rappelé lors du Forum de l’Atlantic Council à Dubai le 28 mars dernier, en le justifiant par la nécessité de séparer la production pétrolière des enjeux politique mais également par l’impossibilité de remplacer la production russe (10mio b/j) au pied levé. Mohamed Bin Salman, le Prince héritier saoudien a délivré un message similaire au premier ministre japonais la veille alors que le roi du Bahrein Hamad bin al-Khalifa s’entretenait avec Vladimir Poutine par téléphone pour souligner l’importance de trouver une solution diplomatique au conflit.

Pendant ce temps, le ministre des Affaires étrangères turc Mevlut Cavusoglu s’est rendu à Moscou et Kiev les 16-17 mars pour tenter de donner corps aux bons offices turcs que le Président Erdogan a initié dès le début du conflit et demander la cessation des hostilités notamment du fait de la présence de 80 ressortissants turcs pris au piège de la ville de Marioupol, alors en état de siège ; résidents dont la plupart ont pu être évacués grâce à un sauf-conduit turc négocié avec la Russie le 17 mars.

L’Irak suit également de près le sort des 5500 irakiens dont 223 ont déjà été admis sur le territoire polonais au début mars, ouvrant la voie à d’autres coordinations notamment avec la Roumanie pour faciliter l’entrée et le séjour des Irakiens venant d’Ukraine. Pour sa part, l’Iran vient d’annoncer la relocalisation de son ambassade de Kiev à Chisinau en Moldavie alors que son impréparation à venir en aide aux milliers d’étudiants iraniens pris au piège de la guerre fait débat au sein de la société.

Photo by Raimond Klavins on Unsplash

Quant aux Palestiniens, ils sont beaucoup plus divisés sur le conflit russo-ukrainien puisque selon un récent sondage, 43% pensent que la Russie est responsable de ce conflit alors que 40% pensent au contraire que les torts sont du côté ukrainien. En Syrie dans la poche d’Idlib, une récente manifestation en soutien à l’Ukraine est venue confirmer une orientation anti-Russe déjà clairement affichée lorsque le chef Tchétchène Ramzan Kadyrov, traité d’apostat par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a répondu positivement à l’appel de Vladimir Poutine pour engager des combattants tchétchènes aux côtés des troupes russes en Ukraine.

Pour leur part, les combattants de l’Etat islamique semble vouloir tirer profit du conflit en Ukraine pour intensifier leurs opérations contre l’armée syrienne, les supplétifs iraniens et les troupes russes présentes en Syrie, quand bien même ces dernières n’ont pas connu de réduction quant à leur présence sur le terrain syrien. En contre-point, les recrutements de volontaires syriens prêts à s’enrôler avec l’armée russe en Ukraine semblent avoir eu peu de succès puisque, selon Franck MacKenzie, le Commandant du Commandement central de l’armée américaine (CENTCOM) au Moyen-Orient, il n’y a eu que peu d’hommes convoyés de Syrie en Ukraine, apparemment bien loin des 16 000 combattants.

Loin d’une solidarité automatique, la position israélienne à l’égard du conflit a connu un nouveau développement suite à l’adresse publique faite par le Président ukrainien Volodymyr Zelenskyy à la Knesset. Lors de ce meeting de 18 minutes, ce dernier a eu recours à une terminologie liée à l’Holocauste, faisant un parallèle hasardeux entre le sort des Juifs durant la seconde guerre mondiale et celui des Ukrainiens face aux Russes aujourd’hui. Il s’est de la sorte attiré les foudres de la plupart des dirigeants politiques israéliens, créant un effet contraire à celui escompté. Cette intervention ne semble pas devoir aider à la révision de la posture israélienne marquée par une limitation du nombre de réfugiés ukrainiens pouvant être accueillis en Israël et une réticence à prendre des sanctions claires contre la Russie. Sur ce dernier point justement, Israël fait l’objet de critiques de la part de l’Union Européenne qui voudrait voir l’Etat hébreu se conformer au paquet de sanctions qu’elle a adoptées contre Moscou.

Au sud de la Méditerranée, l’impact du conflit est sévère comme le montre la situation extrêmement préoccupante que traverse l’Egypte, au point que le gouvernement a décidé de subventionner un peu plus les cultivateurs afin de soutenir une production locale de blé devant idéalement atteindre 70% des besoins nationaux. En outre, le processus d’implantation d’une centrale nucléaire de la compagnie d’Etat russe Rosatom à Dabaa, sur les bord de la Mer Rouge, pourrait se trouver retardée par le conflit et par la position diplomatique égyptienne condamnant l’invasion militaire russe lors du vote à l’Assemblée générale le 2 mars 2022. La pénurie de céréales affecte également la Tunisie qui voit les cours s’envoler sans pouvoir se permettre un plus gros endettement, après la Covid-19. Et dans le même temps, le pouvoir ne peut donc guère imaginer laisser le prix du pain et de la farine augmenter sous peine de voir une explosion sociale.

Au total, le conflit en Ukraine qui s’achemine vers une nouvelle phase avec la concentration des actions militaires russes dans l’Est du pays a été un révélateur de la crise profonde qui existe entre les monarchies du Golfe et les Etats-Unis. Plus encore, elle a montré que les pétromonarchies regardent ailleurs, vers la Chine mais aussi vers Israël comme la rencontre de Charm el-Sheikh le 22 mars l’a montré. En compagnie du leader égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le premier ministre israélien Naftali Bennett et le prince héritier d’Abou Dhabi Mohamed ben Zayed al-Nahyan y ont ainsi évoqué les répercussions globales liés à cette crise, notamment dans les domaines de l’énergie, des marchés et de la sécurité alimentaire.