Rédigé par : Daniel Meier, Chaire Professeur Junior GMO Borders, Cerdap2, Sciences Po Grenoble-UGA.
Mardi 15 octobre 2024 a vu se dérouler, à Sciences Po Grenoble-UGA, une passionnante journée d’étude élaborée par deux doctorantes turques, Elif Aktas-Çelik et Merve Özkaya, avec le soutien actif du laboratoire Cerdap2. Unissant leurs ressources et mobilisant leurs réseaux, les deux doctorantes, issues respectivement de l’Université de Strasbourg et de Sciences Po-UGA, ont réussi à composer trois panels rassemblant une dizaine de jeunes chercheuses et chercheurs qui sont en phase finale de leur thèse. Un comité scientifique composé de Samim Akgönül (DRES, Directeur du Département des études turques et professeur à l’Université de Strasbourg), Stéphane de Tapia (professeur émérite à l’Université de Strasbourg) et Jean Marcou (professeur émérite à Sciences Po Grenoble-UGA et membre du Cerdap2) a encadré les organisatrices et pris une part active dans la modération des panels de la journée. Le résultat fut à la hauteur des efforts et de l’enthousiasme mis dans la préparation et le déroulement de la journée : une réussite. Celle-ci doit aussi être portée au crédit du sérieux des participants qui ont tenu les panels dans les temps impartis et dans une ambiance discursive conviviale et sérieuse et du public, largement composé d’étudiants du Master MMO de Sciences Po Grenoble-UGA, qui ont suivi avec attention les débats, ayant ainsi un accès privilégié au travail scientifique en train de se faire.
L’objet d’étude, les communautés turques en France, offre un paradoxe de départ intéressant : son importance quantitative avec environ 800 000 Turcs en France est inversement proportionnel à la connaissance que l’on a du phénomène. Car il s’agit de la deuxième population turque dans l’Union européenne, après celle d’Allemagne, qui est, elle, l’objet de beaucoup plus d’attention, comme l’on sait. Dans ce cadre, ce séminaire a offert un éclairage bienvenu et original sur des groupes d’acteurs originaires de Turquie peu étudiés. Leur diversité au plan ethnique et religieux (Kurdes, Alévis, etc.) peut être lue, comme l’a proposé Samim Akgönül dans sa conférence inaugurale, de façon intersectionnelle, c’est-à-dire en mettant en avant le rôle du travail et des travailleurs depuis 1948, de la famille et notamment du rôle croissant des femmes et de la culture, du champ politique avec le statut de minorité des mais aussi avec la politisation des communautés turques et enfin de la migration des cerveaux.
Afin d’étudier les transformations des communautés turcs de la diaspora, cette journée d’étude s’est donc articulée autour de trois axes. Le premier axe, modéré par Samim Akgönül, s’est penché sur les constructions et stratégies identitaires des Turcs en France. Merve Özkaya (Cerdap2, Sciences Po Grenoble-UGA) a ouvert le premier panel en présentant la première contribution à caractère sociologique en analysant les trajectoires complexes des ‘transfuges de la communauté’ qui opèrent une rupture et une reconstruction identitaire par rapport à leur groupe d’appartenance.
Elif Aktas-Çelik (LinCS, Université de Strasbourg) s’est, elle, penchée sur la migration de citoyens hautement qualifiés qui possèdent des spécificités socio-culturelles où l’orientation séculière, le capital international et des critères d’employabilité en font des candidats tout désignés pour la migration des cerveaux vers la France. Yiğit Binzet (Université de Galatasaray), en distanciel, a élaboré sur un thème proche, celui des relations tissées dans l’espace migratoire notamment depuis la vague post-Gezi (2013) qui a parfois été présenté à tort comme simplement une fuite des cerveaux et qui vont former, nous a-t-il dit, ‘un nouvel îlot dans l’archipel des Turcs en France’. Kerem Görkem Arslan (DRES, Université de Strasbourg) a proposé une réflexion sur les dynamiques identitaires des Turcs en Alsace en regard de leur parcours migratoire en montrant que la préservation de l’idée de patrie (la Turquie) n’était pas contradictoire avec un certain métissage culturel, en prenant le cas de Bischwiller comme microcosme de cette mixité en acte.
Un second panel portant sur la dimension de la politisation des Turcs dans la migration a été introduit par Stéphane de Tapia qui s’est questionné sur les catégorisations des acteurs avant de laisser Ségolène Débarre (Maîtresse de Conférence, Université Paris 1- Panthéon Sorbonne) présenter une perspective cartographique du paysage associatif turc en France, laquelle n’a pas manqué de soulever plusieurs questions quant à son bornage tout en relevant l’importance de visualiser, par les cartes, une réalité qui mérite d’être mieux connue. Halil Yiğit (IFG, Université Paris 8) s’est penché sur l’instauration du vote à distance signalant l’émergence d’un champ politique partisan transnational et soulignant le développement d’une socialisation politique et d’un répertoire contestataire. Mehtap Ergünöz (DRES, Université de Strasbourg) a proposé un troisième point d’appui dans ce panel en donnant à nouveau une place centrale à l’espace en se penchant sur les relations transfrontalières dans les communautés turques dans la zone frontalière franco-allemande, une réflexion prometteuse qui mériterait d’être poursuivie notamment de façon comparative.
Le troisième et dernier panel a proposé trois études autour des identités diasporiques minoritaires sous la modération de Jean Marcou. Tony Rublon (ATER, Migrinter - Université de Poitiers) a réfléchi au champ d’exil des migrants kurdes avec l’étude des circulations et pratiques transnationales à partir d’une lecture multiscalaire partant du camp de Lavio (Grèce), perçu par les migrants comme un morceau de Kurdistan où les Kurdes reviennent se reconnecter à la militance et à leur identité quand bien même ils sont installés ailleurs en Europe. Rémi Carcélès (MESOPOLHIS, Aix- Marseille), ancien étudiant du Master MMO et diplômé de Sciences Po Grenoble- UGA, s’est intéressé aux mobilisations kurdes en France, c’est-à-dire à l’importation du militantisme kurde dans le microcosme français à travers des parcours d’entrepreneurs de cause issus de diverses mouvances kurdes. Enfin, Sarah Guerfi (DRES, Université de Strasbourg), à distance et via un message pré-enregistré, a exploré les revendications identitaires des assyro-chaldéens turcs dans la région parisienne et les efforts déployés par cette minorité turque pour préserver son héritage à travers des actions éducatives, culturelles et politiques.
La journée d’étude s’est conclue par quelques mots du nouveau directeur du Parcours Méditerranée Moyen-Orient (MMO), le professeur Daniel Meier (Sciences Po Grenoble-UGA, Cerdap2). Il a rappelé que la complexité des rapports identitaires dans la migration est au cœur des problématiques d’études présentées tout au long de la journée, notant également le rôle clé joué par l’espace, à la fois dans les représentations et dans ses effets sur les pratiques. Il a enfin noté la tonalité positive et ouverte des débats que les présentations ont suscité, félicitant les organisatrices et tous les participants pour leurs efforts visant à porter plus avant la connaissance scientifique sur les communautés turques vivant en France.