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Quelles attentes des jeunes face au travail ?

En quelques points

Date

16 juillet 2024

Theme

Entreprises et consommation

Constance LE MONIÈS de SAGAZAN, Étudiante à Sciences Po Grenoble - UGA

Anne BARTEL-RADIC, Professeure à Sciences Po Grenoble - UGA et chercheuse au CERAG, UGA

 

Alors que la crise sanitaire a profondément modifié le rapport au travail de l’ensemble de la population en établissant un certain nombre de tendances, telles que la flexibilité, le rapport au travail des jeunes semble néanmoins comporter une spécificité indéniable. Les jeunes de la génération Z (nés entre 1997 et 2013) sont effectivement souvent qualifiés de « slasheurs » ou de « zappeurs » du fait de leur propension à quitter leur entreprise sans état d’âme, parfois même peu de temps après leur embauche (Gentina et al., 2022). Il est important que les employeurs connaissent les attentes de cette génération afin de pouvoir mieux les attirer et les retenir. 

 

Le recrutement des jeunes : un enjeu clé 

 

La génération Z entre actuellement sur le marché du travail. D’ici 2025, elle représentera 27% de la population active (Bloomgarden, 2022). La génération Z représente un enjeu crucial pour les professionnels des ressources humaines. 

Par ailleurs, avec la révolution numérique, nous sommes entrés dans une économie du savoir où la compétition est de plus en plus forte pour recruter des travailleurs hautement qualifiés (Ployhart et al., 2017). Nous assistons à une demande croissante pour ces profils, notamment dans les domaines technologiques, scientifiques et de l’innovation. Néanmoins, l’offre de travailleurs possédant les compétences requises est limitée, ce qui occasionne une pénurie de main d'œuvre qualifiée (Zune, 2006). Cela explique que les entreprises se livrent à une guerre des talents pour attirer et retenir les meilleurs profils. Dans ce contexte, du fait de leur aisance avec les nouvelles technologies (Schroth, 2019), recruter la génération Z représente une partie de la solution.

Un autre argument en faveur de l’embauche de la génération Z est les avantages apportés par la présence d’une variété de générations sur le même lieu de travail. C’est le concept de age diversity. La diversité des âges peut stimuler la créativité des employés, leur capacité à résoudre des problèmes, la qualité de leur prise de décision ainsi que leur productivité (De Meulenaere et al., 2016). Une main d'œuvre intergénérationnelle qui engendre des interactions positives et de l’entraide entre les travailleurs les plus et moins expérimentés bénéficie à l’employeur comme aux employés. Cependant, les bénéfices d’une main d'œuvre diversifiée en matière d’âge sont encore assez peu connus, la plupart des entreprises n’ont donc pas pris de mesures spécifiques pour en tirer profit. 

Certains secteurs sont particulièrement en tension et peinent à trouver des candidats, comme l’hôtellerie, la restauration ou encore les services à la personne. Les difficultés de recrutement y ont rapidement augmenté ces dernières années. La part des entreprises déclarant rencontrer des difficultés de recrutement a augmenté de 36 à 52% entre mai 2021 et mars 2023. De ce fait, environ 350 000 emplois sont restés non pourvus au 4e trimestre 2022. Ces problèmes d’appariement ont des causes multiples. Cela peut être lié à l’inadéquation des compétences aux emplois, à des conditions de travail difficiles ou des rémunérations jugées insuffisantes (Himpens & Zuber, 2023)

 

Une enquête par questionnaire auprès de 555 personnes  

 

Dans ce contexte où les entreprises cherchent à attirer et retenir des talents, il paraît essentiel de comprendre quelles sont les attentes des jeunes afin de pouvoir mieux les recruter. L’objectif de notre étude était donc de fournir des recommandations aux recruteurs sur la manière d’attirer la génération Z grâce à des offres d’emplois correspondant à leurs attentes. Mais alors quelles seraient ces attentes ? 

Afin de répondre à cette question, nous avons réalisé une enquête quantitative par le biais d’un questionnaire en ligne contenant quatre paires d’offres d’emploi fictives. Autrement dit, les 555 répondants issus de toutes les générations avaient à quatre reprises le choix entre deux offres d’emplois. Celles-ci se différenciaient selon quatre critères : les valeurs affichées par l’entreprise, la sécurité de l’emploi, la rémunération et la flexibilité des horaires liée au télétravail.

 

La génération Z montre une préférence marquée pour les valeurs 

 

Les résultats de l’enquête montrent que la génération Z a une préférence pour les valeurs, puis pour la flexibilité, les revenus et enfin la sécurité de l’emploi. Cela est en accord avec la dimension éthique du travail mise en avant par Gentina et al. (2022). Selon ces auteurs, la génération Z est particulièrement sensible aux valeurs et à l’engagement sociétal des entreprises. Notre étude corrobore qu’avoir un positionnement citoyen en accord avec leurs convictions est essentiel pour les jeunes d’aujourd’hui. Ils se différencient significativement des autres générations : alors que la génération Z met l’accent sur les valeurs, les baby-boomers préfèrent la sécurité de l’emploi, la génération Y privilégie l’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle et la génération X valorise la flexibilité.

Plus généralement, nous observons que l’âge des répondants corrèle significativement avec une moindre attirance par les valeurs et un plus fort accent mis sur la sécurité et la flexibilité. Ces corrélations sont encore plus fortes avec la durée de l’expérience professionnelle. 

 

L’importance du genre et de la composition du ménage 

 

Mais il n’y a pas que l’expérience professionnelle et l’âge qui ont un impact sur les attentes vis-à-vis du travail. Les attentes des répondants ne sont effectivement pas les mêmes selon leur genre. Les femmes préfèrent la flexibilité tandis que les hommes ont un penchant pour une plus forte rémunération. Par ailleurs, parmi les femmes, celles qui ont des enfants, qu’elles vivent seules ou en couple, ont une préférence encore plus accrue pour la flexibilité que les femmes sans enfants. L’importance accordée aux valeurs est moindre. Pour les hommes, en revanche, la composition du ménage n’a pas d’influence statistiquement significative, ce qui démontre qu’être parent n’a pas le même effet sur les hommes que sur les femmes. Il est à noter qu’au sein de la génération Z seule, le genre n’a pas d’impact sur les préférences – ce qui est clairement lié au fait que les jeunes ne sont pas (encore) parents. 

Ces résultats ne sont pas surprenants : nous pouvons supposer que la préférence des femmes pour la flexibilité est liée à leurs responsabilités en termes de garde d’enfants et de tâches domestiques, celles-ci étant souvent plus importantes que celle des hommes. Les femmes ont tendance à consacrer le temps de déplacement économisé en télétravaillant à des travaux ménagers supplémentaires plutôt qu’à des loisirs (Kurowska, 2020). Il est donc logique de supposer que les femmes, surtout celles ayant des enfants, cherchent à concilier leurs obligations professionnelles avec leurs responsabilités domestiques en valorisant davantage la flexibilité que les hommes dans le cadre de leur emploi. En somme, notre étude est en accord avec les travaux antérieurs ayant souligné le rôle du genre et de la parentalité dans les attentes et les attitudes vis-à-vis du travail. 

Nos résultats montrent par ailleurs que les hommes accordent davantage d’importance aux revenus que les femmes, bien que la différence ne soit pas très significative. Ils confirment ainsi les travaux de Terjesen et al. (2007) qui montraient alors que les hommes de la génération Y attachent plus d’importance que les femmes au fait de commencer à travailler avec un salaire élevé. Nous observons ici une autre manifestation des normes sociales et culturelles traditionnelles qui assignent aux hommes le rôle de soutien financier dans la famille. Cela les pousser à accorder plus d’importance aux salaires élevés. Nous notons que cette tendance persiste dans notre étude, malgré une évolution globale de la société entamée voilà plusieurs décennies vers plus d’égalitarisme dans les idéologies de genre et le déclin du rôle de pourvoyeur unique des maris (Zuo & Tang, 2000)

 

Effet d’âge ou effet de génération ? 

 

Est-ce parce que la génération Z est vraiment différente des générations précédentes que nous n’y observons pas de différences entre les attentes des hommes et des femmes ? Il est tout aussi plausible que cet écart de préférences entre les hommes et les femmes soit un effet d’âge. Ceci impliquerait que les femmes de la génération Z développent elles aussi une plus forte préférence pour la flexibilité une fois qu’elles auront des enfants. Il convient d’être prudent dans notre interprétation. Le fait d’avoir établi des corrélations entre les attentes comme la flexibilité et l’âge ne permet pas de savoir s’il s’agit d’un effet de génération ou d’âge. La génération Y, plus préoccupée par la flexibilité de l’emploi et le télétravail en raison de responsabilités familiales croissantes, attachera peut-être plus d’importance à la sécurité de l’emploi dans deux décennies – ce qui indiquerait un effet d’âge. Mais si la génération Z est plus durablement plus favorable au télétravail en raison de sa familiarité avec la technologie et le numérique, on assisterait alors à un effet de génération. Seules des études sondant cette génération de nouveau dans l’avenir permettront de conclure à ce sujet avec certitude. 

 

Implications managériales 

 

Notre étude montre qu’il convient d’adapter les pratiques de gestion des ressources humaines aux évolutions actuelles du marché du travail et aux préférences des jeunes d'aujourd'hui pour les recruter plus facilement. Des offres d’emplois adaptées à cette cible passent par la mise en avant des valeurs de l’entreprise, car c’est la caractéristique la plus recherchée par la génération Z. Dans notre étude, ces valeurs étaient portées sur la protection de l’environnement car la lutte contre le réchauffement climatique est connue comme faisant partie des combats des jeunes d’aujourd’hui (Djafarova & Foots, 2022). Néanmoins, les valeurs peuvent aussi être orientées en faveur de la diversité et de l’inclusion. La diversité inclut différentes dimensions comme l’âge, la nationalité/l’ethnicité, le genre, la capacité psychophysique, la religion, l’orientation sexuelle… Communiquer sur la diversité présente dans l’entreprise contribue à l’attractivité d’un employeur, surtout que la génération Z est plus diverse que les précédentes en termes de culture, de genre et d’orientation sexuelle (Hochreiter, 2022)

En outre, le télétravail peut être mis en avant dans les offres d’emplois afin de renforcer leur attractivité pour la génération Z. Il est également essentiel d’utiliser les canaux de communication adaptés à chaque génération. Les jeunes d’aujourd’hui ont grandi avec les nouvelles technologies. Il convient donc de diffuser les offres d’emploi sur les réseaux sociaux qu’ils fréquentent pour augmenter la probabilité de les atteindre efficacement. 

Cette adéquation entre les attentes et les offres d’emploi proposées permet de mieux attirer et retenir la génération visée mais également de créer un environnement de travail qui favorise la satisfaction, l’engagement et la productivité des employés. 

 

Références 

Bloomgarden, K. (2022, mai 19). Gen Z don’t want to work for you. Here’s how to fix that. World Economic Forum. https://www.weforum.org/agenda/2022/05/gen-z-don-t-want-to-work-for-you-here-s-how-to-change-their-mind/

De Meulenaere, K., Boone, C., & Buyl, T. (2016). Unraveling the impact of workforce age diversity on labor productivity : The moderating role of firm size and job security. Journal of Organizational Behavior, 37(2), 193‑212. https://doi.org/10.1002/job.2036

Djafarova, E., & Foots, S. (2022). Exploring ethical consumption of generation Z : Theory of planned behaviour. Young Consumers, 23(3), 413‑431. https://doi.org/10.1108/YC-10-2021-1405

Gentina, É., Pauwels-Delassus, V., & Leclercq-Vandelannoitte, A. (2022). Infidèles, zappeurs et slasheurs ? Les Z et l’émergence d’une nouvelle forme de fidélité employeur. Revue de gestion des ressources humaines, 125(3), 55‑71. https://doi.org/10.3917/grhu.125.0055

Himpens, S., & Zuber, T. (2023, avril 14). À quelles difficultés de recrutement les entreprises françaises sont-elles confrontées ? Banque de France. https://publications.banque-france.fr/quelles-difficultes-de-recrutement-les-entreprises-francaises-sont-elles-confrontees

Hochreiter, I. (2022).  Attracting and recruiting generation Z on social networking sites in Upper Austria. Master thesis, Johannes Kepler University Linz. 81p.  https://epub.jku.at/obvulihs/download/pdf/8013599?originalFilename=true

Kurowska, A. (2020). Gendered Effects of Home-Based Work on Parents’Capability to Balance Work with Non-work : Two Countries with Different Models of Division of Labour Compared. Social Indicators Research, 151(2), 405‑425.

Ployhart, R. E., Schmitt, N., & Tippins, N. T. (2017). Solving the Supreme Problem : 100 years of selection and recruitment at the Journal of Applied Psychology. Journal of Applied Psychology, 102(3), 291‑304. https://doi.org/10.1037/apl0000081

Terjesen, S., Vinnicombe, S., & Freeman, C. (2007). Attracting Generation Y graduates : Organisational attributes, likelihood to apply and sex differences. Career Development International, 12, 504‑522. https://doi.org/10.1108/13620430710821994

Zune, M. (2006). De la pénurie à la mobilité : Le marché du travail des informaticiens. Formation emploi, 95(3), 2‑2.

Zuo, J., & Tang, S. (2000). Breadwinner status and gender ideologies of men and women regarding family roles. Sociological perspectives, 43(1), 29-43. https://doi.org/10.2307/13897