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Quel est l’effet des programmes d’ajustement structurel conduits récemment en Égypte ?

En quelques points

Date

08 avril 2023

Theme

Entreprises et consommation

Chahir Zaki, Professeur d’économie et directeur de la section française à la Faculté d’économie et de science politique de l’Université du Caire, professeur invité à Sciences Po Grenoble en 2023

Depuis 2016, le gouvernement égyptien s’est concentré sur sa stabilisation macroéconomique. En 2011, l’Égypte a souffert de troubles politiques qui ont entraîné plusieurs déséquilibres macroéconomiques internes et externes (augmentation des déficits budgétaire et courant, augmentation des dettes domestiques et externes, écart croissant entre les taux de change officiels et celui du marché noir). Ces déséquilibres économiques ont réduit les investissements étrangers directs (IDE) et réduit les réserves internationales à un niveau critique, qui à son tour a nui à la croissance économique. Quelques années plus tard, l’Egypte a connu deux chocs externes, à savoir la COVID-19 et la guerre en Ukraine qui l’ont aussi négativement affecté en tant que pays.

Les prêts récurrents du FMI

Par conséquent, et suite aux problèmes économiques accumulés jusqu’en 2016, l’Égypte s’est engagée dans un programme de stabilisation avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale pour corriger les déséquilibres chroniques et stimuler une croissance économique soutenue ; cela comprend la signature d’un accord prolongé de trois ans dans le cadre du mécanisme élargi de financement (extended fund facility) avec le FMI, en novembre 2016 , pour un montent de 12 milliards de dollars. Ce programme de réforme comprenait principalement les mesures suivantes : flottement de la monnaie, remplacement de la taxe sur les ventes par une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), suppression des subventions et gel des embauches publiques. Cela a conduit à un taux de croissance économique élevé qui a atteint 5,6 % en 2019 (contre 4,3 % en 2016), le taux d’inflation a diminué à 13,8 % (contre 23,3 % en 2016), le taux de chômage a atteint 7,9 % (contre 12,7 % en 2016), le déficit budgétaire global  a été de 8 % (contre 12,5 en 2016) et les réserves internationales ont augmenté pour atteindre 44 milliards de dollars (contre 15 milliards de dollars en 2016).

Pourtant, selon l’Agence centrale de la mobilisation publique et des statistiques (CAPMAS), la pauvreté a augmenté pour atteindre 32,5 % en 2018, contre 27,8 % en 2015, elle a ensuite diminué à 29,7 % en 2020. De plus, le niveau de vie de la classe moyenne s’est dégradé, entraînant davantage d’inégalités. Le sous-emploi ainsi que les formes d’emploi informelles et précaires ont également augmenté de manière significative. Enfin, le secteur privé fait toujours face à plusieurs barrières qui entravent son expansion, comme il sera démontré dans les sections suivantes.

En 2020, avec la crise sanitaire, et avec la baisse des IDE et du tourisme, les exportations et les investissements ont été volatils, en raison d’une baisse de la demande des principaux partenaires commerciaux de l’Égypte (principalement des pays européens et arabes), l’Egypte a obtenu un autre prêt du FMI dans le cadre du « Stand-by Arrangement », s’élevant à 5.2 milliards de dollars. Finalement, au lendemain des débuts de la guerre en Ukraine, les politiques budgétaires expansionnistes, et la hausse de la dette extérieure, et les réserves de devises étrangères, déjà affectées par la baisse du tourisme, des exportations et des IDE, furent soumises en Égypte à une pression supplémentaire. En effet, la part de la dette extérieure dans le revenu national est passée de 21,1 % en 2016 à 37,2 % en 2020. Cela a conduit la Banque centrale égyptienne à annoncer plusieurs flottements de la monnaie qui est passée de 15.7 livres pour un dollar, en février 2022, à 30.5 livres pour un dollar, en février 2023, et à conclure un autre prêt avec le FMI et d’autres institutions financières internationales de 9 milliards USD.

Pièce de 1 livre égyptienne représentant Toutankhamon (2023)

Ainsi, alors que les prêts récurrents du FMI ont permis une stabilisation macroéconomique à court terme, ils n’ont pas pu résoudre les problèmes structurels de l’Egypte à long terme, notamment la dynamisation du secteur privé, l’amélioration de la compétitivité des exportations et la création de l’emploi.

Pourquoi le secteur privé ne peut-il pas se développer ?

Plusieurs raisons expliquent pourquoi le secteur privé n’a pas pu se développer. Premièrement, le crédit au secteur privé, en tant que part du crédit intérieur total, a diminué de 46 % en 2004 à 18 % en 2018, tandis que la part du crédit au gouvernement est passée de 26 % à 50 %, au cours de la même période. Cela explique pourquoi la contribution du secteur privé a diminué avec moins d’investissements.

Une deuxième explication tient au fait que certaines variables du climat d’investissement se sont détériorées, selon les données de l’enquête de la Banque mondiale auprès des entreprises. En effet, la part des entreprises égyptiennes qui identifie les pratiques du secteur informel, la corruption, l’administration fiscale, les taux d’imposition et les réglementations douanières et commerciales comme des contraintes majeures pour les entreprises, a augmenté entre 2013 et 2020. Cela montre l’urgence de réformer les institutions économiques (comme le temps pour démarrer une entreprise, exporter et importer, faire respecter un contrat, etc.) afin d’accroître la participation du secteur privé et de créer plus d’emplois. Cela comprend la facilitation et la simplification des procédures commerciales.

Troisièmement, la structure du marché explique également la faible contribution du secteur privé. Les indices élaborés par l’Economist Intelligence Unit (EIU) montrent que l’indice de liberté de concurrence s’est détérioré depuis 2015 et est resté inférieur à la moyenne MENA. Des évolutions similaires sont observées au niveau de l’indice du degré à partir duquel la propriété et le contrôle de l’État faussent l’environnement des affaires, s’est détérioré depuis 2012 et est resté constant depuis lors.

Vers des réformes « plus » structurelles

Dans ce contexte, pour générer plus d’emplois, le secteur privé a besoin d’un environnement des affaires plus dynamique et plus incitatif. En premier lieu, au niveau macroéconomique, des réformes plus structurelles et plus profondes sont nécessaires pour améliorer le climat d’investissement, générer des externalités et aider les entreprises à améliorer leur productivité. Cela s’applique à la politique de concurrence, à la simplification des procédures commerciales et à l’application de l’approche du guichet unique (où les investisseurs peuvent finaliser toutes les procédures pour réduire les coûts de traitement liés à la demande, les retards de traitement et la reproduction des documents). Pour améliorer la concurrence, il est nécessaire de développer une politique de propriété publique transparente et un cadre de gouvernance mais aussi de limiter les exclusions des lois et les exemptions pour les acteurs étatiques. En outre, il est important de renforcer le mandat institutionnel de l’Autorité égyptienne de la concurrence. Cela aidera le secteur privé à accroître sa productivité.

En second lieu, au niveau microéconomique, aider les PME à s’intégrer dans les chaînes de valeur régionales et mondiales par le biais de clusters stimulera leur productivité et leur permettra de se développer. Il faudra alors attirer davantage d’IDE dans le secteur manufacturier, afin d’accroître le transfert de technologie, en particulier dans les secteurs à forte valeur ajoutée qui absorbent la main-d’œuvre. Afin de développer de tels clusters, plus d’avantages doivent être fournis aux grandes entreprises qui sont liées aux petites et moyennes entreprises. Ces avantages comprennent l’accès au financement, les incitations fiscales, les exonérations de droits d’importation et les crédits à l’exportation.

Enfin, une politique industrielle plus claire doit être développée et mieux liée à la politique commerciale. Pour déterminer les produits les plus importants sur lesquels l’Égypte doit se concentrer, tant l’offre (mesurée par les capacités de l’Égypte) que la demande (mesurée par la demande mondiale) doivent être prises en considération pour s’assurer que l’Égypte se spécialise dans les produits qui ont une forte demande (tels que l’électronique, l’équipement électrique et les machines). Par conséquent, plus d’exportations manufacturières entraîneront plus de demande, une production plus élevée et donc plus d’emplois. Il est important de noter que cela nécessitera une stratégie industrielle spécifique qui se concentre sur des secteurs particuliers à forte intensité de main-d’œuvre.