Camille Morio, Maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Grenoble et chercheure au CERDAP2
La « démocratie participative » est ici entendue au sens extensif de l’ensemble des outils permettant d’associer de près ou de loin les habitants à la décision publique, sans préjudice du point de savoir si les habitants ne font que discuter entre eux ou bien décident réellement. Autrement dit, pour reprendre une définition de Loïc Blondiaux, le terme désigne
« tout ce qui, dans la vie politique des démocraties contemporaines, ne relève pas strictement de la logique du gouvernement représentatif ».
Une démocratie participative locale très consultative mais étouffant la décision et l’initiative citoyenne
L’analyse montre que la démocratie participative au niveau de la commune est actuellement très porteuse de délibération, à travers les différents conseils et comités existant, et riche en mesures permettant aux personnes élues d’enrichir la décision publique des avis émis par les personnes non élues. Au contraire, elle n’encourage pas voire étouffe les dimensions décisionnelles et d’initiative citoyenne. Les cas le plus flagrants sont ceux de la pétition et du référendum local.
Dès lors, la participation observée est souvent en demi-teinte : parfois une démarche participative va réunir une diversité et / ou un nombre élevés de personnes, se dérouler dans des conditions d’échange et d’écoute et déboucher sur une véritable co-construction d’un projet ou d’une politique publique. Parfois au contraire de véritables difficultés sont relevées, que cela soit sur le plan quantitatif ou qualitatif. A côté de cela, on observe le développement de procédures plus originales ou ad hoc, telles que les budgets participatifs ou les conventions citoyennes[1].
Demander si « cela prend côté citoyens et citoyennes » constitue peut-être déjà une partie du problème
Toutefois, demander si « cela prend côté citoyens et citoyennes » constitue peut-être déjà une partie du problème, dans un contexte où l’offre publique actuelle est orientée principalement sur la consultation. Comme le soulignent Guillaume Gourgues et Sandrine Rui, la participation en demi-teinte à « l’offre publique de participation » n’est pas nécessairement le signe d’un désintérêt pour les questions politiques :
« il faut rappeler […] les appels aux boycotts, les dénonciations publiques et les recours dont font l’objet les dispositifs. Celles et ceux qui pénètrent dans les dispositifs le font avec beaucoup de scepticisme et sans grande illusion, et ne sont pas les idiot·es utiles de la grande supercherie participative [sic]. […] Celles et ceux qui ont expérimenté les formes institutionnelles de participation en sortent souvent écœurés et défiants, sentiments qui aiguisent leur capacité critique ».
Antoine Bézard aborde une idée proche lorsqu’il écrit, à propos des budgets participatifs :
« la question de la participation est régulièrement posée par les observateurs sous l’angle du nombre. […] La question posée par les citoyens est celle de ces résultats, des changements que leur participation produit ».
Il s’agit alors de faire un pas de côté : comment l’offre publique de participation peut-elle mieux intégrer l’enjeu de l’influence, voire de la décision, provenant des citoyens sur la décision publique ? Et comment peut-elle mieux s’articuler avec l’initiative citoyenne, y compris sous sa forme contestataire ?
Conforter la consultation et faire une véritable place à la décision et à l’initiative citoyenne
Les communes (voire les quartiers, pour les grandes villes) de demain se démarquent par la proximité entendue au sens de facilité de sociabilité. C’est ce qui continue de les distinguer des autres échelons d’entités publiques locales, dans un cadre territorial qui sera probablement remanié. Elle est l’échelon où les personnes se côtoient au quotidien, mais elle n’est pas l’échelon de toutes les politiques publiques. A son niveau, elle peut déjà être le siège d’une vie démocratique plus vivante. Elle peut également constituer une porte d’entrée vers la diversité de chemins participatifs existant, tant à son niveau qu’à l’échelle des autres entités locales.
Du point de vue de la gouvernance de la commune, un rééquilibrage peut sans aucun doute être envisagé entre démocratie élective[2] et démocratie participative. Sans que cela ne remette en cause l’idée qu’il ne peut pas y avoir un seul modèle participatif, trois axes principaux peuvent être pensés :
1. continuer de border, sans les formater, les procédures consultatives par des garanties orientées vers la sincérité des dispositifs : mieux faire connaître et donner davantage de poids aux principes récemment explicités dans le droit français : sincérité, égalité, impartialité, régularité (définie comme le respect des règles annoncées), définition du public pertinente par rapport à l’objet de la participation, transparence sur l’objet, les modalités et l’effet de la participation, délai raisonnable pour participer, mise en œuvre de moyens pour assurer une diversité minimale des participant·es. L’usage des méthodologies délibératives doit être encouragé, si besoin en proposant un appui méthodologique aux petites collectivités (via les agences départementales, l’ANCT,…).
Adapter la participation à la gouvernance multi-acteurs et multi-niveaux en encourageant la mise en réseau des instances (par exemple un conseil de quartier avec le conseil de développement de l’intercommunalité, etc.) et en permettant de (co)organiser des démarches sur des sujets ne relevant pas strictement de la compétence de la collectivité organisatrice. Améliorer l’autonomie des instances là où cela est pertinent. Enfin, améliorer les obligations de reddition des comptes suite à une procédure consultative.
2. mieux intégrer la décision et l’initiative citoyenne en permettant aux collectivités de se défaire d’une portion de leur pouvoir de décision dans certains cas déterminés. Cela a déjà été réclamé par certaines communes, et peut-être envisagé à travers une révision constitutionnelle, voire, mais de façon beaucoup plus limitée, via l’expérimentation. Les formes concrètes sont potentiellement infinies : instaurer un véritable référendum d’initiative citoyenne, ouvrir le droit d’obtenir la mise en place de conventions citoyennes ou de toute autre instance prévue par le droit, permettre la mise en place de référendums avec d’autres modalités que le vote « oui » ou « non » ou des référendums délibératifs, supprimer le seuil de participation de 50%,… Enfin, ce qui relève davantage de la culture politique, se questionner sur la manière de recevoir voire d’accompagner les mouvements citoyens. Mener une réflexion sur le cadre juridique des « communs » afin de mener des projets en transversalité personne publique / collectifs citoyens
3. ne pas avoir peur de politiser la participation, non pas au sens d’y faire nécessairement entrer des partis, mais au sens de mettre à la discussion à la fois des sujets peu porteurs d’enjeux stratégiques et/ou des sujets du quotidien, comme l’aménagement d’une rue par exemple, mais aussi des sujets sensibles et porteurs d’enjeux stratégiques (ex. : armement de la police municipale).
La commune de demain ne peut non plus se penser indépendamment des intercommunalités. Or, en droit, un modèle participatif propre à celles-ci tend à se développer, dans un sens plus co-constructif. Il reste néanmoins des zones d’ombre à clarifier à leur sujet, notamment sur la possibilité de recourir à la pétition ou au référendum local[3].
La décentralisation à la française s’est avant tout construite comme une démocratie élective. Au-delà des nécessaires ajustements à apporter au cadre juridique, cela constitue une culture politique commune qu’il faut continuer de faire évoluer, tant chez les agents que chez les personnes élues et les personnes non élues
Ce billet reprend en version condensée une note produite pour une audition devant la mission d’information sénatoriale sur l’avenir de la commune et du maire qui s’est tenue le 6 juin 2023. Parmi les questions traitées, la mission a souhaité aborder celle de la démocratie participative en s’interrogeant sur les outils existants, leur appropriation par les citoyennes et les citoyens et les améliorations à apporter.
[1] Voir à ce sujet dossier spécial Actualité juridique du droit administratif français, n° 14, 17 avril 2023.
[2] Elle-même peut être modernisée, par exemple en parlementarisant davantage la vie représentative locale, ouvrant sur une gouvernance plus collective, remodelant aussi la place du ou de la maire.
[3] Camille Morio, « La métropolisation et le citoyen », in S. Saunier (dir.) Métropolisation et grands ensembles urbains, L’Harmattan, à paraître en 2023.