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L’écologie, un débouché politique potentiel pour des électeurs de gauche en déshérence

En quelques points

Date

06 avril 2020

Theme

Elections, opinions et valeurs

Simon Persico, Professeur de science politique à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte

La préoccupation écologique est-elle devenue consensuelle ?

Personne ne peut être en désaccord avec l’objectif de préserver la planète ou celui de lutter contre le réchauffement climatique. Ce consensus a permis toutes les récupérations politiques, de Jacques Chirac et sa planète qui brûle (« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », avait affirmé l’ex-président en 2002) à Laurent Fabius et sa « social-écologie », ou celle, plus récente, qu’illustre la communication d’Emmanuel Macron. En ne fixant que des objectifs à long terme sans cesse repoussés, on sent une forme de réticence des gouvernements conservateurs et sociaux-démocrates à réguler l’activité humaine, la production et la consommation pour être à la hauteur des enjeux. Cette absence d’actes vient légitimer la stratégie d’autonomie des partis verts et la radicalisation des organisations et mouvements écologistes que l’on constate aujourd’hui.

L’écologie n’est donc pas nécessairement de gauche ?

Sur des questions comme la solidarité, le droit des individus, l’immigration ou la redistribution des richesses, la plupart des militants et responsables écolos partagent les valeurs qui sont portées par la gauche. La preuve, c’est que sur l’échiquier politique, les partis écolos sont toujours positionnés à gauche des partis libéraux et des partis sociaux-démocrates.

L’eurodéputé écologiste Yannick Jadot veut former une coalition climat « de Borloo à Ruffin ». Cela vous paraît-il possible ?

Le problème de la stratégie des « deux côtés » dessinée par Europe Ecologie-Les Verts, c’est qu’elle dépend de la bonne volonté des gens à qui ils s’adressent, tant à gauche que du côté centriste. Pour que Jadot ou un autre écolo arrive au second tour de la présidentielle en 2022, il lui faut être capable de capter une partie des électeurs qui ont voté Macron, et ceux qui ont voté Mélenchon au premier tour. C’est, pour le moment, peu crédible. On le voit avec leur stratégie d’alliances fluctuantes pour les municipales quand, à Paris, ils essaient d’aller voir du côté de Cédric Villani et qu’à Grenoble, ils s’unissent à La France insoumise.

Peut-on qualifier cette stratégie de populisme ?

Le terme de « populisme vert », employé par la secrétaire d’Etat à l’écologie Brune Poirson pour englober à la fois Mélenchon, Jadot et Le Pen, est un concept vide car il n’y a rien en commun entre eux. Le populisme, c’est la simplification de l’affrontement politique entre le peuple d’un côté et les élites de l’autre, comme deux ensembles homogènes. Or cela n’a pas de sens en matière d’écologie : vous avez des élites économiques qui sont clairement hostiles à la protection de la planète, comme les grandes firmes de l’énergie ou de la finance. Mais aussi d’autres élites, tels les scientifiques et chercheurs internationaux, très claires sur la politique de lutte contre le réchauffement climatique. Du côté du peuple, dans une étude sur les « gilets jaunes » que nous avons réalisée, nous avons posé une question sur l’environnement et nous nous sommes aperçus qu’ils sont tout aussi divisés que le reste de la population française, certains voulant une transition rapide et d’autres y étant très hostiles.

Au XIXe siècle, le socialisme s’est construit un imaginaire autour de la justice sociale. Quel pourrait être aujourd’hui celui de l’urgence climatique ?

A l’origine du socialisme, il y avait un débat autour de l’industrialisation. Le courant qui l’a emporté, très productiviste, pensait qu’il fallait développer les forces productives pour améliorer les conditions de vie des ouvriers, quelles que fussent les conséquences sur les groupes sociaux minoritaires, comme les paysans. Mais il y avait aussi l’école des socialistes utopiques, libertaires, représentée par des figures comme Elisée Reclus ou Pierre-Joseph Proudhon, très critiques envers la révolution industrielle. L’écologie pourrait jouer le même rôle que ces derniers en apportant à la pensée socialiste une vision moins étatiste, moins centralisatrice, plus basée sur les coopératives, des moyens collectifs de production mais à l’échelle locale.

L’écologie politique peut-elle devenir le nouveau récit émancipateur ?

Il y a un débouché politique potentiel pour des électeurs de gauche en déshérence, une troisième voie par rapport à l’affrontement entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, qui peut s’articuler autour de l’écologie politique. Il faut repenser la redistribution des richesses car on sait qu’on ne peut pas avoir croissance économique et décroissance des émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs intellectuels comme Dominique Méda ou Eloi Laurent réfléchissent à un modèle social qui puisse survivre à une économie qui décroît. C’est un vrai défi, car l’Etat-providence s’est construit sur la croissance. Cela oblige à faire le lien entre justice sociale et crise écologique.

Est-ce compatible avec le capitalisme financier et le libéralisme économique ?

Nous allons être forcés de réduire les échanges internationaux, de biens et même de personnes et relocaliser les activités. Est-ce revenir sur une économie de marché ? C’est plus compliqué. Des formes d’organisations, comme les AMAP, fonctionnent déjà dans des mécanismes de marché libre en étant éloignées du modèle capitaliste. Cette conviction que des formes d’auto-organisation, de marchés relativement libres, peuvent fonctionner, fait partie des fondamentaux de l’écologie politique. Mais c’est très dur de se dire favorable au marché dans le débat politique. Surtout si on veut séduire François Ruffin et ses amis !

Comment la gauche peut-elle survivre à ces bouleversements ?

Les partis sociaux-démocrates auront du mal. Mais n’est-ce pas simplement un renouvellement de la gauche ? A l’image des partis radicaux, dominants au début du XXe siècle, qui se sont fait supplanter par d’autres forces, les socialistes et les communistes, positionnés sur des enjeux plus contemporains. C’est la même logique de remplacement à laquelle nous assistons. Des partis perdront leur domination mais la gauche ne disparaîtra pas. Il demeurera un espace politique commun parce que les préférences des électeurs écologistes sur les valeurs sont très semblables à celles des électeurs de La France insoumise ou du Parti socialiste. Quand des nouveaux enjeux deviennent structurants, ce sont les forces politiques qui les ont posés qui en bénéficient. Aujourd’hui, ce sont les écologistes.

Cette analyse a été initialement publiée dans Le Monde le 28 février 2020.